Après un long parcours d'obstacles, sur fond de tensions diplomatiques, une ONG anti-corruption entrevoyait mercredi la possibilité de l'ouverture d'une enquête judiciaire sur le luxueux patrimoine acquis en France, selon elle, par trois chefs d'Etat africains.
Depuis mars 2007, Transparency International (TI) France a déposé trois plaintes notamment pour "recels de détournement de fonds publics" contre Omar Bongo Ondimba (Gabon), Denis Sassou Nguesso (Congo) et Teodoro Obiang Nguema (Guinée Equatoriale).
Mais mardi, pour la première fois, une juge a estimé que cette plainte était recevable, ouvrant ainsi la voie à une possible enquête judiciaire.
Il s'agit "d'une décision historique qui augure de la fin de l'impunité pour les dirigeants corrompus dans le monde", a déclaré mercredi le président de TI France, Daniel Lebègue, dans un communiqué.
Les deux plaintes précédentes, en 2007 et 2008, avaient été classées sans suite par le parquet de Paris qui, sans se prononcer sur le fond, ne reconnaissait pas à l'ONG la légitimité de se pourvoir en justice dans ce dossier. La doyenne des juges du pôle financier de Paris en a décidé autrement mardi.
"C'est la première fois dans le monde qu'un magistrat reconnaît la légitimité de l'action d'une ONG devant la justice au nom des victimes de la corruption", a souligné M. Lebègue lors d'un entretien avec l'AFP.
TI ne crie pas pour autant victoire. Le parquet, représentant du ministère de la Justice, dispose de cinq jours pour faire appel, avant éventuellement de se pourvoir en cassation.
"On a franchi une étape de première importance. Mais le parquet fera-t-il appel? Ensuite, dans quel délai l'affaire sera-t-elle jugée sur le fond? Et puis l'objet ultime, c'est la restitution des avoirs détournés", explique M. Lebègue.
D'après l'ONG, le patrimoine immobilier des trois chefs d'Etat en France s'élèverait à 160 millions d'euros. Le clan Bongo possèderait à lui seul une trentaine de luxueux appartements ou maisons.
Des patrimoines privés qui "n'ont pu être constitués que par le détournement d'argent public", selon M. Lebègue.
"Chaque appartement luxueux acquis par le clan Bongo, c'est un hôpital public ou une école publique de moins à Libreville!", a lancé lors d'une conférence de presse l'avocat de TI, Me William Bourdon.
Selon lui, l'appel du parquet est "très vraisemblable" et visera "à mettre sous l'éteignoir" cette enquête.
"Cet appel apparaît aujourd'hui malheureusement comme la traduction du fait que le parquet dans cette affaire (...) est bien le bras armé et séculier de la raison d'Etat dans ce pays", a-t-il accusé.
En raison du possible "impact sur les relations" entre la France, le Gabon et le Congo, deux anciennes colonies de son "pré carré", M. Lebègue reconnaît que son ONG "informe" régulièrement les autorités françaises des grandes étapes de la procédure. "Il n'y a aucun signe d'encouragement, ni de dissuasion" de leur part, a-t-il assuré.
Depuis 2008, ce dossier perturbe les relations entre les autorités françaises et le doyen des chefs d'Etat africains, Omar Bongo, à qui le président Nicolas Sarkozy avait rendu visite en priorité lors de sa première tournée africaine en juillet 2007.
Libreville a fustigé "l'acharnement complice des médias français", qui relaient les accusations des ONG et le parti au pouvoir au Gabon a menacé, en mars dernier, de "réexaminer en profondeur les accords de coopération entre la France et le Gabon".
Mercredi, le secrétaire d'Etat à la Coopération Alain Joyandet a déclaré à Abidjan que "le gouvernement n'a évidemment pas de commentaire à faire sur une affaire qui est devant la justice".