Le Congo va vivre dans les mois qui viennent un moment de respiration démocratique. Et chacun espère qu’il sera porteur de renouveau et de progrès. Plusieurs compatriotes se sont engagés. Certains ont tracé des perspectives pour le pays. Je crois qu’ils sont sincères et on compte sur eux.
Certes je n’ai aucune légitimité à parler au nom de quiconque, mais je souhaite que l’ensemble des compatriotes comprenne que la vision d’un pays comme le nôtre – qui a tant de retard et besoin d’un souffle permanent – et l’exigence de le servir ne se limitent pas aux échéances électorales ou à l’horizon d’un mandat. Nous devons être imprégnés de l’idée qu’un mouvement a été lancé et il ne s’arrêtera pas. Aussi devons-nous l’accompagner par un esprit d’entreprendre, un goût pour la qualité dans tous les domaines (pas seulement pour les fringues) et un sens des priorités.
Nombreux ont déjà fait part de leurs regrets, aspirations et idées sur l’éducation, la santé, l’agriculture, l’électricité, l’eau, etc. Pour ma part, je voudrais souligner quatre points :
Premier point : la nécessité de fonder le développement du pays sur une vraie politique des territoires qui s’appuie non plus sur les identités ethniques ou tribales, mais sur la capacité et le dynamisme de ses habitants à créer les conditions pour mieux vivre ensemble. Cela passe par une forte décentralisation qui donne aux départements et aux communes les moyens d’agir (pouvoir politique, répartition des compétences, autonomie budgétaire, statut et responsabilité des élus locaux, etc.).
La nouvelle relation de partenariat entre l’Etat et les collectivités locales pourrait se traduire par des conventions (contrats de projets, contrats d’objectifs, etc.) qui clarifieraient le rôle de chacun. Qui fait quoi ?
A qui on demande des comptes pour telle ou telle chose ? Je ne crois pas que meubler une école de Tiétié ou construire une rue à Mvoumvou relève du Président de la République.
La décentralisation sonnera le glas de la politique de comptoir de la municipalisation accélérée, laquelle a davantage permis d’enrichir le clan, qu’à faire avancer le pays. Pour résumer, c’est aux élus locaux de définir ce qui est bon pour leur territoire, et à l’Etat de veiller à l’équilibre et à la cohérence de l’ensemble des territoires. Pour donner un peu plus de vitalité à cette décentralisation, les politiques publiques doivent créer une émulation et récompenser (avec des prix et trophées encourageants) les communes et départements les plus dynamiques.
Par ailleurs, la connivence étant très forte dans les hautes sphères de l’Etat, il faut renforcer le pouvoir judiciaire, en coupant réellement le cordon entre le politique et le juge chargé d’appliquer le droit et de contrôler les comptes publics, afin qu’il joue un véritable rôle d’arbitre et de dissuasion. Une idée qui ferait l’originalité de la jeune démocratie congolaise : élire également les juges pour les postes stratégiques, par exemple au sein de la cour suprême ou des cours d’appel. A ce titre, ces professionnels seraient indépendants du pouvoir exécutif et responsables devant le peuple de qui ils tiendraient leur légitimité.
Deuxième point : l’exigence de soutenir le développement économique et l’emploi pour donner aux Congolais une autonomie financière et intellectuelle. Car l’argent, c’est le nerf de la guerre. Nombreux ont cédé à la pression du ventre. Des jeunes gens ont pris des armes pour des sommes dérisoires et quelques fois avec de simples promesses d’un avenir meilleur.
Plutôt que d’attendre les entreprises étrangères venir s’installer chez nous, l’Etat doit prendre des mesures pour faire de la SNE, la SNDE, la Cimenterie, La Poste et du secteur agro-industriel des fleurons de notre économie. C’est un péché de l’esprit que de ne pas y arriver, quant on voit l’immensité des besoins intérieurs.
En dehors de la gouvernance et du management à améliorer, il faut favoriser le développement de l’actionnariat local, et ce dans divers projets économiques, pour donner à nos entreprises une assise plus forte et les inscrire dans la durée. C’est aussi une manière d’impliquer plus largement les Congolais dans la vie économique du pays. Encourager l’investissement local exige la création d’un établissement financier dédié et proprement congolais (avec des fonds privés et publics), afin d’accompagner les projets, nécessairement sur le long terme. Car les banques étrangères présentes au Congo sont inscrites dans une logique de court terme et sont beaucoup trop frileuses.
Quant aux projets d’infrastructures de communication, ils doivent intégrer une dimension économique. Par exemple, la construction d’une route (d’un coût d’une quarantaine de milliards comme on en a eu écho) doit s’accompagner de la création d’une activité économique, pour rentabiliser l’équipement et garantir sa maintenance.
Par ailleurs, si l’on veut tendre vers l’autonomie financière des Congolais, il faut revoir les salaires, trop faibles par rapport au coût de la vie.
Troisième point : l’importance de la vie associative. C’est une manière pour la population de mettre son énergie et ses idées son au service du pays.
L’Etat doit encourager cette forme d’action en la déclarant d’utilité publique. Car c’est par le biais des associations, des syndicats ou des organismes professionnels que devront venir certaines réponses à nos besoins.
C’est enfin par ce biais que le pays se dotera d’un corps intermédiaire structuré entre la population et le pouvoir politique. Ces forces vives, quant elles sont imprégnées de l’intérêt général, constituent un vrai contre-pouvoir.
Deux faits m’ont frappé dernièrement dans mon quartier à Pointe-Noire.
J’ai vu des familles très modestes qui se battaient pour inscrire leurs enfants dans une école privée. Et pourtant elles auraient pu s’unir avec d’autres pour soutenir l’école publique du quartier. J’ai aussi vu une rue coupée en deux par un tas d’immondices baignant dans des eaux souillées, un vrai nid à moustiques. Visiblement, les gens s’en étaient accommodés. Et pourtant, ils se réunissaient bien le dimanche pour danser dans le cadre du leur «groupe folklorique ». En discutant avec quelques uns, j’ai fini par savoir pourquoi rien n’était fait. « C’était trop compliqué ! »
Quatrième point : l’amélioration de nos méthodes de travail. Nous devons être plus exigeants avec nous-mêmes. Si les pays occidentaux ne nous considèrent pas, c’est parce que nous sommes très en retard. Mais un jour, si notre pays relève la tête, il sera naturellement traité comme un partenaire. Bien évidemment, l’intérêt des puissances occidentales n’est pas de nous voir jouer les premiers rôles. Rien, rien ne viendra d’ailleurs !
C’est à nous de savoir promouvoir collectivement nos intérêts et de hisser notre patrie sur les hautes marches de la reconnaissance.
Le changement auquel aspire légitimement tout un pays doit d’abord s’opérer dans les mentalités, avant d’être perceptible dans les rues de Brazza, de Ponton ou d’Owando. Et de mon point de vue, les conditions de la confiance et la dynamique doivent venir de notre administration. L’Etat a en effet un grand rôle d’impulsion à jouer. Et la première exigence de la politique est de faire fonctionner le service public.
Ce que nous admirons dans les pays qui sont plus avancés que le nôtre a été réalisé au prix d’efforts importants. Puis que nous voulons profondément le changement, soyons prêts à accepter les contraintes et sacrifices qu’exige le progrès. Notre retard réside avant tout dans notre façon de penser la vie et notre manière de travailler. Par exemple, dès que quelqu’un bouscule un peu les vieilles conventions, les habitudes ou augmente la cadence du rythme de travail dans certains milieux, il devient tout de suite une tête de Turc «qu’est-ce qu’il veut montrer ?». Les bonnes intentions sont sèchement stoppées au lieu d’être encouragées.
Pour faire jouer à l’Etat son rôle d’acteur essentiel, il est précieux de fixer une ligne directrice au service public, en rendant obligatoire la démarche de projet. Je fais les propositions suivantes dans l’optique de contribuer à l’amélioration du service :
1- – Une nouvelle méthode de travail qui responsabilise les représentants de l’Etat. Les responsables administratifs (ministres, préfets, sous-préfets, directeurs départementaux des services publics, directeurs d’établissements publics, etc.) doivent se muter en vrais managers.
En plus de leurs nominations (décret), une lettre de cadrage doit préciser (publiquement) leur mission. Ensuite, les intéressés doivent présenter publiquement leurs orientations et priorités : projet(s), objectifs, moyens matériels et humains, méthode, calendrier, etc., afin que chacun puisse, le moment venu, évaluer le travail accompli. Et puis, il faut valoriser les agents administratifs tant par les perspectives de carrière que par la rémunération. On peut augmenter des salaires dans la fonction publique, pour peu qu’on engage une véritable politique des ressources humaines – mieux des richesses humaines – mais aussi une politique financière (car il y a des morts qui perçoivent encore leur traitement et des marges d’amélioration dans la collecte des taxes, impôts et produits des services vendus).
2- – Mettre le fonctionnement de l’administration au quotidien à l’abri de l’argent (des « madesso ya bana ») par les mesures suivantes :
- Interdiction de payer en espèces des prestations administratives (dans les services) ;
- Emission des timbres fiscaux correspondant à ces prestations et représentant leurs prix ;
- Affichage des tarifs dans les administrations ;
- Institution des délais de délivrance des différentes prestations pour éviter tout abus ou toute tentation ;
- Création (et généralisation) de guichet d’accueil et de prestations (à noter qu’avec un tel service, on peut réhabiliter le courrier administratif comme outil de communication et d’échange et soutenir l’activité de La
Poste) ;
- Création d’un organe habilité à recevoir et instruire les plaintes et réclamations des usagers en cas de manquement de l’administration aux règles établies.
L’objectif est d’assurer l’égalité à la fois des agents publics et des usagers dans le fonctionnement de l’administration.
Mais avant que certains ne me demandent ce que j’ai fait pour le pays, je tiens à signaler que j’ai lancé une activité commerciale en septembre 2007 à Pointe-Noire, tout en vivant en France. Aujourd’hui, quatre familles en vivent. Dernièrement, j’ai même perdu près de 40 cochons frappés par la peste porcine dans l’indifférence générale.
Quand on voit l’immensité du défi que le Congo doit relever pour construire le bonheur de son peuple, on est tenté de penser qu’il n’y arrivera jamais.
Tellement la tâche semble surhumaine. « Mais on appelle surhumaines, les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir », disait Camus.