Mahmoud Ahmadinejad a largement été réélu à la présidence iranienne, d'après les chiffres officiels. Le "phénomène Moussavi" a-t-il été sur-estimé par les médias internationaux? Armin Arefi, journaliste franco-iranien, réagit aux résultats de cette élection pour LEXPRESS.fr.
La victoire de Mahmoud Ahmadinejad est écrasante: d'après les chiffres officiels, il aurait obtenu 62% des voix. A-t-on sous-estimé sa popularité, comme ce post de blog le souligne?
Plus que la victoire d'Ahmadinejad, c'est en effet son ampleur qui étonne. Mais je ne pense pas que l'on se soit fondamentalement trompés sur le mécontentement des Iraniens: le bilan d'Ahmadinejad est mauvais, il a mis le pays sens dessus dessous et la situation économique du pays inquiète les habitants.
Il y a certainement eu beaucoup de bourrage des urnes. Et dans les campagnes, des voix ont été gagnées à coup de subventions attribuées par le gouvernement... La très forte participation, de l'ordre de 85% des électeurs inscrits, aurait du bénéficier aux trois autres candidats, plutôt qu'à Ahmadinejad. Or un candidat comme Karoubi, qui avait obtenu 15% des suffrages il y a 4 ans, a plafonné à 0,9% des votes cette fois [soit 300 000 votes contre 5 millions il y a cinq ans, ndlr], c'est invraisemblable!
Mais ces fraudes ne seront sans doute jamais prouvées, comme lors du précédent scrutin...
Le mécontentement que vous évoquez s'était surtout "retrouvé" dans la candidature Moussavi, ces derniers temps...
Oui, depuis deux semaines, ce mécontentement a rencontré la figure de Mir-Hossein Moussavi et une véritable "vague verte" a déferlé sur Téhéran et dans d'autres villes. Il a su fédérer l'enthousiasme des jeunes, des femmes et des intellectuels, derrière lui. Des partisans qui restaient "connectés" grâce à des SMS et à Internet.
Ceci dit, il ne faut pas se leurrer: ses partisans sont plus anti-Ahmadinejad que pro-Moussavi. Ce dernier, bien que perçu comme un réformateur, reste un enfant du régime dont il a été Premier ministre [de 1981 à 1989, ndlr].
Les médias internationaux ont beaucoup parlé d'un "phénomène Moussavi". N'était-ce qu'une illusion?
Je ne pense pas. La réaction de la rue, après le scrutin, montre que de nombreux Iraniens sont aujourd'hui dépités. Pendant deux semaines, on s'est dit que rien ne serait plus comme avant. On a assisté à des débats télévisés, des manifestations des différents camps, une certaine effervescence politique... La population s'est prise au jeu!
Finalement, les mollahs ont eu peur de Moussavi, l'enfant du régime. Et aujourd'hui, les Iraniens ont la gueule de bois.
REUTERS
Un partisan de Moussavi, tout vêtu de vert, dénonce: "J'ai écrit Moussavi, ils ont lu Ahmadinejad". De nombreux Iraniens demandent ce dimanche "où sont passés leur vote".
Et maintenant? Quel est l'avenir de cette "vague verte"?
La jeunesse courageuse sort dans la rue pour manifester son mécontentement, malgré la répression très dure. Et les manifestations peuvent se poursuivre: ces jeunes attendent sans doute un petit coup de pouce international.
De violentes émeutes estudiantines avaient déjà eu lieu en 1999, mais il manquait un leader. Cette fois, Moussavi pourrait-il être cet homme? Pour l'heure, il reste invisible. Se montrer alors que, comme Karoubi, il refuse d'accepter la victoire d'Ahmadinejad, l'exposerait peut-être à une arrestation. D'ailleurs de proches collaborateurs des deux ex-candidats ont déjà été arrêtés.
Pourrait-elle aboutir à un renversement du régime?
La population iranienne est imprévisible... Mais j'en doute. La vague de mécontentement persiste mais les manifestants ne veulent pas forcément faire la révolution. La plupart n'étaient pas nés lors de la précédente, il y a trente ans, et n'ont ni les moyens ni peut-être l'envie d'en mener une autre. Je doute aussi que les figures réformatrices comme Moussavi, également issues du régime, aillent totalement à l'encontre du gouvernement.
Non, si coup d'Etat il y a, c'est plutôt du côté de Mahmoud Ahmadinejad qu'il faut le voir, avec les coupures répétées de réseaux de communication et, surtout, les nombreuses arrestations auxquelles ses hommes procèdent.
LEXPRESS.fr.