« En 50 ans d’indépendance, le bilan est affligeant. Les guerres civiles, les crises, la pauvreté jalonnent le parcours de tout pays africain. Des pays sans projet politique cohérent, sans véritable politique économique ; le niveau de formation des équipes dirigeantes est douteux, les dirigeants choisis pour la plupart par cooptation plutôt que pour leur compétence, la démission des intellectuels… » Mambou Aimée Gnali
L’année 2010 sera marquée par la célébration des 50 ans d’indépendance pour bon nombre de pays africains francophone dont le Congo-Brazzaville. Malgré la liesse qui gagne les organisateurs de ces événements, il nous parait inexcusable de ne pas esquisser une réflexion sur le bilan de ces cinquante dernières années. Le Congo-Brazzaville a-t-il su tirer profit de cette accession à la souveraineté internationale ? Le sujet mérite d’être abordé sans un esprit arabesque et sans polémique inutile. Le premier constat que l’on observe est que, malgré les avantages immenses en ressources naturelles, le Congo-Brazzaville reste, sans l’ombre d’un discours hypocrite quelconque, à la traine du train du sous-développement pris par bon nombre de ses voisins africains. Aussi, si l’on peut percevoir dans ses rapports déséquilibrés avec le reste du monde, notamment avec la France, les dirigeants congolais qui se sont succédés depuis les années 1960, à quelques exceptions près, ont plutôt manifesté une seule volonté, se maintenir au pouvoir contre vent et marrée dans une ambiance très souvent teintée de coups d’Etat , de guerres civiles, de mauvaise gouvernance, de népotisme, de corruption, de concussion, de gabegie financière, d'enrichissement personnel et illégal, de trafic d'influence et autres maux qui contribuent au sous-développement du pays, de manipulation des institutions et des règles démocratiques les plus élémentaires, qui ont caractérisés la gestion du pouvoir dans ce pays. Certains dirigeants ont fait du tribalisme politique un mode de gestion du pouvoir. Autant de questions qui suscitent notre curiosité intellectuelle sur le bien fondé de vouloir célébrer ces 50 ans avec faste, alors que beaucoup d’interrogations restent en suspend.
De même, on peut noter sans risque de se tromper que les défis socio-économiques soulevés par une population galopante et non maîtrisée augmentent avec acuité et ne cessent de se complexifier chaque jour notamment dans les centres urbains : plus de 2/3 de la population urbaine vivent dans un habitat précaire et insalubre dépourvus de tout, sans services essentiels… L’absence d’un vrai programme d’assainissement expose aujourd’hui les populations vivant dans les grandes villes aux phénomènes d’inondations récurrents et surtout à une pénurie sans précédent en eau potable et électricité.
Au Congo-Brazzaville, 50 ans c’est l’âge de la sagesse, un âge ou l’on vient vous consulter pour votre culture, votre perspicacité à aborder les sujets, à régler les problèmes, bref votre sagesse… Le Congo-Brazzaville, le 15 Aout 2010, qui aura exactement ce même âge paraît pourtant comme un malvoyant a qui on doit tenir la main pour traverser une rue. A 50 ans, pourquoi notre pays demeure un Etat avili dont on apprend encore à lire et écrire ? Un Etat qui ne peut décider par soi même de son avenir. Quelle honte ! Pendant que certains Etats (Cameroun, Côte d’ivoire..) ont estimé réfléchir sur le comment sortir leurs pays de la médiocrité chronique ou ils sont maintenus par les politiques néocolonialismes qui ne cessent de les assujettir, la haute autorité congolaise a estimé venir, le 23 et 24 avril dernier, cirer les pompes de l’ancien colonisateur. Comme pour mieux appuyer cette thèse de l’infantilisme de l’homme politique congolais, la corruption est aujourd’hui érigée au rang de sport national.
QUAND LA MAFIA REGNE AU SOMMET DE L’ETAT ?
Trafics d’influences, commerces illicites, malversations, paradis fiscaux, sociétés offshore, corruption… malgré les discours réformateurs sans contenus que nous chantent les responsables politiques congolais le virus de la mafia est bel et bien installé au sommet de l’Etat congolais érigé de surcroît en méthode de gouvernance politique. Le système économique et financier instauré par nos politiques au pouvoir s’accommode fort bien avec des comportements « mafieux » observés. Une « corruption scientifique » est entretenue au sommet de l’Etat. Ces maux et anti-valeurs qui s'enracinent au sein de la société congolaise ne cessent de prendre de l'ampleur et inquiètent toute conscience humaine. Ces anti-valeurs reprennent leur place de choix dans le processus de destruction du pays et constituent le plus grand ingrédient contributeur au sous-développement du Congo. Quand la Banque Mondiale et le FMI demandent l’éradication de ces anti-valeurs, le gouvernement s’empresse à exposer des fonctionnaires « seconds couteaux » qui perçoivent plusieurs salaires et pensions de retraites.
Détenir un parc auto de moins de 5 voitures de luxe est une infamie, une seule villa est un tar, l’étalage d’une fortune honteusement acquise est presque devenue une nécessité, une distinction de réussite. Quand bien même l’on sait que cette corruption réduit gravement notre capacité de pouvoir s’attaquer sérieusement à l’éradication de la famine et de la malnutrition dont les conséquences négatives sur les capacités intellectuelles et physiques des populations sont évidentes. L’impossibilité de pouvoir combattre efficacement des maladies comme le paludisme, le sida et d’autres maladies endémiques éradiquées ailleurs depuis longtemps, et dont la persistance, voire l’aggravation, résultent de la détérioration continue des conditions de vie des populations… Rien qu’en mois de mai 2010, des agissements indignes d’un Etat de droit et qui prouve le manque d’exemplarité au sommet ont été perpétrés par des agents dont les ramifications et des soutiens douteux au sein d’une « mafia étatique » ne laissent aucun doute. Pour preuve le journal la semaine africaine rapportait les faits suivants :
« …. vendredi 7 mai 2010, la rubrique «Coup d’œil en biais» a fait écho d’une affaire dont ont parle, de plus en plus à Pointe-Noire. Il s’agit des fonds saisis par sept gendarmes, au cours d’une perquisition au domicile de Jean-Claude Mavoungou, au quartier Makayabou, dans l’arrondissement de Loandjili, le mercredi 28 avril dernier. Le procureur de la République s’est saisi de l’affaire et a commencé à entendre les gendarmes qui ont effectué la perquisition et leurs chefs. Selon nos recherches, le montant saisi aurait été de 94 millions de francs Cfa. C’est dans la maison même, que les gendarmes avaient commencé à compter l’argent. Mais, à leur retour de mission, les sept gendarmes ayant fait la perquisition n’auraient présenté à leur chef que la somme de 80 millions de francs Cfa. 14 millions seraient soutirés en chemin. Pour les remercier de leur mission, le chef leur aurait rétrocédé 10 millions. Le reste des fonds devant être convoyés à Brazzaville, auprès de la hiérarchie. 50 millions seulement seraient présentés à Brazzaville dont 10 millions restitués à l’officier ayant transporté les fonds, en guise de remerciement à tous les gendarmes ayant contribué au succès de l’opération… »
Dans un autre registre toujours par la même source :
« Les agents de l’Etat en service à Ngoko, une localité du département de la Cuvette, n’ont pas perçu à temps leurs salaires du mois d’avril. En effet, l’argent destiné au paiement desdits salaires a été volé, selon le percepteur du trésor public de cette localité, soit la somme de 780.650.000 francs Cfa environ. Dans sa version des faits, le percepteur en question, un certain Fabien, affirme que cette somme a été soigneusement gardée dans une valisette, dans sa chambre à coucher. Mais, en rentrant chez lui, après une baignade, dans la rivière bordant la localité, il a découvert, avec stupéfaction, la porte de sa chambre défoncée par des inconnus. Une enquête est en cours pour établir la responsabilité d’éventuels coupables…. »
Ou est le sens de la solidarité et du respect du service public, lorsque l’Etat cautionne la rétrocession des primes aux agents de la fonction publique dans le cadre de l’exercice de leur fonction ? Est-il acceptable qu’un agent de l’état puisse garder des sommes aussi colossales destinées à payer les salaires des citoyens dans un endroit non seulement inapproprié, mais surtout sans aucune mesure de sécurité ?
50 ans pour une réflexion vers une nation tournée vers l’avenir
Ne serait-il pas l’occasion d’organiser une vraie rencontre entre congolais pour réfléchir à une sortie de crise face au dilemme sociopolitique que traverse le pays depuis 1997 ? Comme chacun le sait plusieurs milliards ont été débloqués pour magnifier semble t-il cet événement historique. Or aucun Congolais n’ignore que l’ambiance dans le pays n’est pas à la fête, tant les défis restent énormes. Au chapitre sanitaire, la situation n’est guère reluisante. La pandémie du Sida, le paludisme et la tuberculose ne cessent de progresser dont les enfants et les femmes sont les plus vulnérables. Outre ces pandémies, la mortalité maternelle et infantile progresse alors que le paludisme reste encore la première cause de mortalité du pays, détruisant parfois des familles entières, auxquels s’ajoutent la poliomyélite, le choléra, la méningite, la bilharziose, la fièvre typhoïde, les AVC et les nuisances sonores provenant des lieux de cultes et des bars dancing et sur les voies publiques, etc., et la sous‐alimentation reste une équation insoluble.
L’agriculture n’a jamais décollé, pire encore elle est devenue archaïque et dépendante de l’extérieur. On préfère octroyer des milliers d’hectare aux fermiers Sud-africains, au lieu de privilégier et d’encourager la préférence nationale. Les vieilles recettes de villages coopératifs qui ont pourtant échoué en Europe de l’Est refont surface chez nous à IGNE et NKOUO à 80km au nord de Brazzaville. Un manque de considération inadmissible pour le paysan congolais a qui l’on fait croire qu’il est incompétent alors même qu’on lui refuse tous les moyens nécessaires pour son développement. L’autosuffisance alimentaire d’ici à l’an 2000 slogan pompeux des années 80 est vite oublié et rangé dans les tiroirs. Sans oublier que le pays en 50 ans d’indépendance peine à sortir de son insuffisance en matière d’infrastructure routières. Moins 2000km construit en 50 ans, dont 60% hérité de la colonisation. Le Congo demeure très enclavé malgré une richesse insolente.
Après 50 ans d’indépendance, le Congo-Brazzaville a du mal à décoller et à se concentrer sur une stratégie de sortie du sous‐développement ou de pauvreté presque chronique. Le pays ne cesse de se tourner vers l’ancienne puissance coloniale et des institutions financières internationales. Après cinq décennies d’indépendance, doit-on s’interroger si l’ancienne puissance colonisatrice avait correctement coupé le cordon ombilical ? L’heure n’est elle pas venue d’aborder un nouveau virage pour s’affranchir de la servitude néocoloniale ? En tout cas la situation observée un peu partout dans tout le pays, donne tristement raison aux arguments brandis par certains observateurs qui visitent notre pays et qui remarquent ; « les congolais ne s’aiment pas»; « les congolais aiment faire la fête au détriment de s’investir sur l’avenir » ; « les congolais sont tous corrompus »; « ils aiment le pouvoir pour le pouvoir sans une ambition collective ». La liste est longue de ces remarques qui fleurissent sans cesse sur l’image d’un pays à la dérive. Par exemple, le thème du cinquantenaire de l’indépendance : Arrivée de Pierre Savorgnan de Brazza au Congo est-il justifié au regard de l’événement ? Pourquoi n’a t’on pas choisit de parler du roi Makoko également ou tout simplement parler des pères de l’indépendance : quelle vision politico-économique prônaient-ils ? ou un thème sur notre développement et notre avenir ? Pourquoi ne pas cristalliser les esprits sur le fléau de la corruption ou encore l’insuffisance ou le manque des infrastructures de santé comme thèmes majeurs d’une réflexion pour mieux vivre ensemble et solidaire pour le développement ?
Aussi, on ne peut réfuter ces propos, même avec un triplement de l’aide au développement, le rééchelonnement de la dette à répétition, l’effacement de la dette, l’admission au PPTE, etc.… Le Congo-Brazzaville ne pourra pas faire face à ses besoins, alors que le vécu des populations au quotidien ne cesse de se dégrader. Le congolais vivait mieux en 1972 qu’en 2009, selon la Banque Mondiale. Certes, les termes de l’échange ont toujours été défavorables aux jeunes économies congolaises. Certes, les subventions que certains pays occidentaux accordent à leurs producteurs portent une concurrence déloyale aux productions congolaises. … Néanmoins, il faut aussi savoir se mettre en cause devant les échecs et les difficultés en 50 ans d’indépendance. C’est trop facile de chercher toujours du côté de l’autre les causes de son mal être.
Est-il logique qu’un Président se paie des pavillons à travers le monde et une armada de voitures de grand luxe à coup de milliards, alors qu’une bonne partie de son pays est encore complètement enclavée ?
Est-il concevable qu’un Président s’étonne de l’état de délabrement de sa capitale entourée des immondices forçant ainsi son peuple à y cohabiter alors aucun effort n’est fait pour y remédier ?
Est-il logique que l’on change de gouvernement sous des critères totalement partisans teintés d’un clientélisme notoire qui se pavane dans les rues de Brazzaville en étalant une fortune douteusement acquise alors que plus de 58 % de sa population ne mange pas à sa faim ?
Est-il logique que des membres du gouvernement fêtent des milliards au moment où les hôpitaux de leur pays n’ont même pas de coton et fauteuils roulant pour les handicapés ?
Est-il logique qu’un président nomme de force un député ayant été désavoué par les électeurs bafouant ainsi toutes les règles élémentaires de la démocratie ? Pourquoi le président peut-il demander à un ministre de réinstaller dans son fauteuil un DG qui venait d’être suspendu ?
Peut-on gouverner sérieusement un pays en l’absence de conseils des ministres ?
Quel partenariat avec les Institutions Financières Internationales et autres bailleurs, au‐delà des emprunts, des échelonnements et annulations de dettes habituels ?
N’est-il pas temps que l’Organisation panafricaine fasse son introspection en examinant les causes qui conduisent aux coups d’État et autres crises politico-institutionnelles à la place des condamnations tous azimuts après coup ?
NON ! 50 ans d’indépendance ne méritent pas une fête grandiose mais bien une réflexion sur notre politique de gouvernance.
Autant de questionnements entre autres, que les congolais doivent se poser aujourd’hui à la place des fastes insouciants. Le développement du Congo passe nécessairement par les Congolais eux‐mêmes. Ça, c’est un fait ! Ainsi, le contexte actuel du Congo interpelle tous congolais, diaspora comme populations de l’intérieur, même si les élites, notamment politiques, ont une responsabilité première de l’état du pays.
En effet, le destin du Congo est entre les mains des Congolais, qui malheureusement, se sont plutôt présentés, à ce jour, comme les véritables fossoyeurs tout en criant au loup. Il est tant de s’arrêter et de reconnaître que « les ennemis du Congo sont les congolais » eux‐mêmes. C’est un peu trop facile de mettre tout sur le dos des autres, sans oser regarder avec responsabilité, les actes que l’on pose chaque jour, sa manière de faire et sa manière d’être dans un monde qui se complexifie chaque jour.
Ce cinquantième anniversaire doit être fondamentalement, l’heure de l’introspection et sur comment faire pour sortir le Congo du sous développement, de la pauvreté et du mal gouvernance chronique. La célébration de ces 50 ans d’indépendance, doit avant tout se décliner sous l’angle d’une nouvelle tonalité écartée de tout perspectif victimaire, pour interroger la vraie réalité des pratiques de gouvernance instaurées au pays depuis ces dernières années.
Jean-Claude BERI
DAC : developperautrementlecongo@gmail.com